La vérité est-elle une affaire de courage ?

Par Yan Marchand
Docteur en philosophie et auteur

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Peut-on dénombrer les personnes dont l’intégrité fut menacée pour avoir dit la vérité ? On pense aux lanceurs d’alertes (médiator, algues vertes, panama paper, wikiLeaks…) et à leur prédécesseurs (Gallilée, Giordano Bruno et Socrate). Pourtant nous devrions tous aspirer à la vérité car elle offre une meilleure perception des choses et rend l’action plus juste. En quoi dérange-t-elle ? Et où les hommes et les femmes « véridiques » trouvent-il la force de dire la vérité ?

Peut-on dire la vérité ?

Peut-on dire la vérité ? Nos lanceurs d’alerte ne sont-ils pas des fanfarons ? Peut-on faire coïncider comme le dit si bien Parmenide la pensée, la parole et ce qui est ? Car parfois on se trompe et donnons notre assentiment à des choses qui ne sont pas vraies. Mais dire que la vérité n’existe pas, c’est déjà annoncer qu’une chose est vraie au moins cette phrase. Disons que la vérité n’est pas facile à trouver et à dire. Tout ne serait qu’une question d’interprétation des faits, dirait Nietzsche, mais subtilement, il parle bien des faits. Si on peut interpréter c’est qu’un fait existe. Peut-être n’est-il pas accessible tel quel à la pensée humaine, mais il est le point de départ et nos pensées peuvent le constituer, converger vers lui.

En épistémologie on tente de trouver des critères qui permettent de valider un discours comme étant au moins cohérent. Hempel parle de contenus qui regroupent une diversité et un grand nombre de situations. Ce contenu est vérifiable mais aussi falsifiable – on sait qu’un contenu se réforme sans cesse mais dans une certaine limite. Ce que l’on dit annonce aussi quelque chose de prédictible.  Certes une vérité scientifique est toujours en attente de confirmation, et elle s’expose volontiers à la critique pour avancer. Et l’on s’appuie sur un cadre expérimental qui tente autant que possible de dégager la subjectivité humaine pour décrire le fait. Les algues vertes et le médiator contiennent des composants dangereux pour la santé humaine. Cela semble validé par un collège d’experts qui nous offre tous les moyens de vérifier.

Il y a donc un consensus, avons-nous dit, mais sur la base d’une méthodologie, d’une observation et d’une vérification permanente. Les faits ne se jettent pas sous nos yeux, ils sont à établir. Et parfois, ce que l’on dégage n’a rien à voir avec ce que l’on croyait… d’où quelques conflits.

 

Modifier ses habitudes a toujours un coût que l’on peut refuser

L’établissement de faits peut contrarier des opinions, des habitudes sociales, le fonctionnement ordinaire d’un groupe. Et modifier ses habitudes a toujours un coût que l’on peut refuser. Comme de modifier ses pratiques industrielles ou agricoles, mais aussi quotidiennes comme de cesser de prendre l’avion. Un désir de conservation explique que l’on peut rester aveugle devant un fait pour ne pas en tirer les conséquences.

Le fait peut également froisser les intérêts d’une institution qui fonde son succès sur une erreur, voire des mensonges. Par exemple le géocentrisme de l’église. Les véridiques auront donc à assumer un discours qui ne fera pas que corriger une erreur mais qui interrogera toute la structure d’une institution. C’est le propre des lanceurs d’alerte actuels qui, à partir d’un scandale qui peut sembler très localisé va dénoncer un fonctionnement plus général qui contamine toutes les sphères des pouvoirs politiques, médiatiques et économiques. Cette institution et ses alliées, va donc mettre en place un système de mensonge redoutablement puissant.

La vérité aura alors affaire à deux obstacles : l’intimidation purement et simplement, et le démontage systématique de la factualité qui mettra notre lanceur d’alerte dans la peau d’une Cassandre.

Ce travail de décrédibilisation ne date pas d’hier. Arendt rappelle que vérité et politique ne font pas bon ménage. Seulement, la politique traditionnelle qui se contentait de cacher les faits pour faire passer son idéologie a bien évolué. Selon elle, la politique actuelle ne se contente plus de cacher les faits mais de les détruire. Pour ce faire elle mobilise l’image et ses forces de séduction pour donner à autrui ce qu’il souhaite voir et entendre. Si bien l’image de la propagande n’est plus un double de la réalité mais un substitut. Par conséquent, les citoyens vont se mettre à préférer le « non-fait » à l’original.

Cela permet de comprendre pourquoi un discours argumenté, basé sur l’observation aura moins de succès qu’un discours politique puisque le politique part de ce que l’auditeur veut entendre, alors que le scientifique ou le véridique décrit un fait d’une manière forcément surprenante puisqu’il révise tout le temps le savoir.

 

La vérité a besoin d’un moment propice

Menacé, discrédité, exposé à une force du mensonge qui le dépasse, où le porteur de vérité trouve-t-il le courage de diffuser ce qu’il sait sur place public. Dans le fait que la vérité est un devoir. Surtout quand elle empêche le malheur ou favorise le bonheur de certaines personnes.

Toutefois ce désir de vérité doit se dire de façon opportune (si bien que des fois, il est sans doute opportun de ne pas dire la vérité). Ce désir relève donc d’une forme de courage car on va s’exposer à un risque pour protéger des intérêts qui excèdent les siens, mais d’un courage qui intégrera aussi l’idée d’une certaine sagacité. Le courageux n’est pas seulement celui qui incarne l’audace et la bienveillance mais aussi une intelligence pratique qui trouve par des moyens détournées une fin longuement méditée. La vérité a besoin d’un moment propice.

La vérité est donc une affaire de courage au sens strict, à chaque fois qu’elle s’énonce. Ce franc-parler s’appelle la parrêsia en grec ancien. C’est la liberté de tout dire. Mais ce tout n’est pas le tout et n’importe quoi. C’est tout ce qui est fondé, quitte à fâcher le commun des mortels et les institutions qui savent que la compétition pour le pouvoir implique une longue chaîne de mensonges.  Le courage de la vérité est du côté du parrêsiaste, mais aussi de ceux qui doivent s’ouvrir à la vérité et prendre soin de cette parole pour qu’elle porte sur la place publique.

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